Automne 1945 - Un drôle d’oiseau chez les canaris

Nous sommes durant l’automne 1945, le FC Nantes découvre le professionnalisme pourtant ses dirigeants vont rapidement faire preuve d’amateurisme. Un garçon à peine sorti de l’adolescence va réussir à se jouer de leur naiveté pour se payer un séjour à Nantes aux frais de la Princesse.

C’est l’histoire pitoresque et incroyable de Franck Dawson au FC Nantes !

En ce début de saison 45-46 les joueurs du FC Nantes ne s’en tirent pas trop mal pour leurs premiers pas chez les pros de la D2. Pourtant les membres du comité directeur décident qu’un renfort offensif est indispensable pour que les canaris jouent un rôle intéressant dans ce championnat.

Ainsi se mettent-ils à la recherche de l’ “oiseau rare” : le buteur qui doit permettre au FCN de se hisser au niveau des meilleurs.

Le destin va pourtant favoriser les desseins des dirigeants nantais, enfin…croit-on !

Fin octobre, François-Xavier Parlant, alors vice-Président du FCN, rencontre au cours d’un voyage un jeune homme sympathique. Ce garçon de 20 ans, au détour d’une discussion, déclare être un footballeur anglais, attaquant de surcroît qui a eu l’honneur de cotoyer les meilleurs outre-Manche (notamment Stanley Matthews, excusez du peu !). Il fait même mention de ses sélections chez les militaires anglais.  Son papa britannique lui a appris le football, tandis que sa mère française ne lui a pas oublié de lui apprendre notre langue. Il se nomme Franck Dawson.

Que voulez-vous de mieux ?

Pour couronner le tout,  le garçon s’est entiché d’une jeune fille de la région nantaise durant la guerre, on imagine facilement la suite…

“- Dites-moi, Mr Parlant, ne connaîtriez-vous pas un club de football succeptible de m’accueillir ?”

C’est évidemment Noël avant l’heure pour les dirigeants nantais qui, rapidement mis au parfum par leur confrère, n’ont plus qu’une hâte : celle de conclure l’arrivée de Dawson au FC Nantes avant que les rivaux rennais ou angevins ne viennent leur mettre des bâtons dans les roues.

Le 29 octobre 1945, la presse nantaise sort le scoop : “Le FC Nantes va bientôt disposer d’un nouvel attaquant de classe internationale !”

“Grâce au concours de notre rédaction sportive, le F.C.N est actuellement en pourparlers avec un avant-centre de très grande classe que bien des clubs voudraient posséder. Nous sommes en mesure d’annoncer la prochaine arrivée dans notre ville de l’international militaire anglais Franck Dawson… Ce serait donc bien l’oiseau rare cherché depuis si longtemps par les dirigeants nantais. Espérons qu’ils ne laisseront pas s’envoler cette belle occasion de doter leur attaque du marqueur de buts qui lui fait défaut depuis si longtemps.”

Les supporters des jaune et vert sont aux anges, il leur tarde de découvrir leur nouvelle star à Malakoff. Justement un match amical est organisé le jour de la Toussaint contre  Tours.

L’Avenir de l’Ouest, pour la présentation de la rencontre, annonce donc :  “les spectateurs auront la primeur des essais de l’Anglais Dawson, centre-avant.”

Le public se rend donc en nombre pour assister aux débuts de Franck Dawson, chouchouté par les dirigeants qui n’hésitent pas à mettre la main au porte-monnaie pour lui rendre le séjour à Nantes le plus agréable possible.

Face aux Tourangeaux , les canaris s’imposent facilement (5-1). Dawson a évolué en première mi-temps dans le onze nantais avant de demander à sortir en boitant et en se disant tenaillé par une mauvaise sciatique. Sa prestation aura été relativement fade. Il a laissé le public sur sa faim mais, malgré tout, on se dit que Dawson était sans doute handicapé par ce maudit mal de dos. On lui accordent donc volontiers quelques circonstances atténuantes.

A.PIC dans l’Avenir de l’Ouest, qui assiste à la rencontre, émet tout de même quelques réserves :

” Par la voix de son secrétaire général, le F.C.N. nous annonce brusquement - ailleurs que dans ce journal - à grands renforts de publicité, qu’il a découvert, à défaut de la “merveille noire Ben Barek”, l’avant-centre rêvé qu’il cherche depuis le début de la saison.

C’est “l’oiseau rare”. Mais quel est donc cet oiseau rare !Frank Dawson, croyez-moi, on vous a fait la plus mauvaise des publicités. Personnellement, et je n’étais pas le seul, j’étais persuadé que vous ne répondriez pas à l’attente des amis du football nantais. On peut “gonfler” un Ben Barek, un Koranyi, un Prouff ou l’un de vos camarades de l’Ordonance Workshop qui lança le football à Nantes, les “Red Star”, Maxwell et autres. Mais “gonfler” n’importe qui, n’importe quand, n’importe où, c’est une plaisanterie désastreuse pour le club comme pour l’intéressé.

Hier, Dawson, je vous ai suivi des yeux, sans arrêt. Et j’ai rapidement compris que vous ne vous imposeriez pas d’emblée. Vous êtes, certes, un bon et beau footballer. Mais vous n’attaquez pas la balle ; vous ne la disputez pas. Bref, vous n’êtes pas dans l’ambiance. Mais vous vous y mettrez, car vous avez de la classe à revendre. Seul vous manque le dynamisme français. Sans être l’oiseau rare que l’on prétend avoir trouvé, vous serez, d’ici peu, le bon petit avant-centre que le F.C.N recherche. Et ça sera bien ainsi…Mais de grâce qu’on nous flanque la paix avec les perles noires ou blanches !”

Ce n’est que partie remise, il conviendra d’être patient avec l’anglais et ne pas brutaliser son organisme. Le jeu en vaut la chandelle…

C’est ce que devaient aussi penser Marcel Saupin et ses amis jusqu’à ce qu’ils apprirent le 6 novembre que leur nouveau protégé venait d’être arrêté par les gendarmes pour vagabondage et escroquerie. En fait de footballeur international militaire, Franck Dawson était un imposteur. Originaire du nord de la France, il s’était échappé du domicile familial et n’était réellement agé que de 17 ans.

Une belle leçon pour les dirigeants nantais qui malgré leur âge croyaient encore au père Noël… jusqu’au 6 novembre 1945 !

Pour leur défense, on peut considérer à juste raison que certains de leurs successeurs  n’ont guère fait mieux…

Dernière mise à jour : 18/1/2025

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