“J’ai fait pour le mieux et je ne me suis pas mal débrouillé pour un débutant !”
Jean Clerfeuille (1909-2015)
Président du FC Nantes de 1959 à 1968.
Quelques semaines après Kléber Bobin, disparu le 11 novembre dernier, c’est un autre président du Football Club de Nantes qui nous a quitté le mardi 27 janvier 2015. L’occasion pour tous les supporters canaris de lui rendre hommage en revenant sur le parcours de celui qui forma, avec José Arribas et Albert Heil, le trio gagnant du FCN des années 60.
né le 27 décembre 1909 à Auxerre, décédé le 27 janvier 2015
Originaire de l’Yonne, d’Auxerre précisément, Jean Clerfeuille arrive à Nantes alors qu’il n’ a que 25 ans. Nous sommes en 1934 et le début de sa carrière d’agent commercial chez Lesieur l’amène à s’installer dans la cité ligérienne. C’est là qu’il va fonder une famille et réaliser l’essentiel de son parcours professionnel. Féru de ballon rond, il assiste alors, de loin, à la naissance du Football Club de Nantes et à l’installation du football professionnel dans la Cité des Ducs. Assidu spectateur des tribunes du Stade Malakoff, il en devient supporter avant qu’à la fin des années 50 des évènements ne secouent le conseil d’Administration du FCN et ne provoquent son arrivée à la tête du club.
Suite au départ de Jean Le Guillou, en juin 1958, dont la gestion calamiteuse a amené le FCN au bord de la faillite (13 Millions de dettes), la situation du club inquiète jusqu’à la Mairie. Les édiles nantais s’interrogent sur la bonne utilisation de la manne municipale et entendent bien avoir un droit de regard sur le futur de l’association sportive. Ils invitent donc les nouveaux dirigeants à venir leur présenter leur projet à l’Hôtel de Ville avant de se prononcer sur le versement ou pas de la subvention, condition siné qua non à la continuité du football professionnel à Nantes.
Une moitié des membres du bureau ayant suivi Jean Le Guillou et démissionné, il faut former de toute urgence une nouvelle équipe dirigeante…
C’est ainsi que Jean Clerfeuille se trouve entrainé par son ami Chalmandrier dans l’aventure des canaris :
“Un mordu lui ! Moi je ne voulais pas venir au départ. A quoi cela pouvait-il servir ? Nous étions une dizaine ce soir là dont Louis Fonteneau que je ne connaissais pas. On nous a exposé une situation catastrophique. Finalement nous étions si peu nombreux que je me suis laissé entrainé.”
Charles Stephan, un banquier en retraite, est nommé président avec la bénédiction de la municipalité qui finalement accepte d’accompagner la nouvelle équipe. Jean Clerfeuille occupe lui le poste de vice-président.
Mais un nouveau coup de tonnerre va résonner quelques mois plus tard dans le ciel du football nantais : Charles Stephan, désavoué par les membres du bureau dans un différend avec l’entraineur Louis Dupal, démissionne à son tour et laisse le FC Nantes sans président alors que la saison n’en est qu’à sa moitié.
Le vice-président Clerfeuille se trouve dès lors propulsé en première ligne en étant bien obligé d’assurer l’intérim, au moins jusqu’à la prochaine Assemblée Générale.
« Personne ne voulait du poste, c’est pourquoi j’ai accepté… »
”Je n’avais pourtant rien demandé. Ce sont les circonstances qui m’ont poussé. Elles étaient simples : il n’y avait plus de joueurs valables, plus d’argent, pratiquement plus de spectateurs et presque plus de dirigeants. Le désert, quoi. Or, j’aimais le FC Nantes depuis longtemps et je voulais qu’il soit sauvé. Alors, puisque personne ne se présentait, je me suis dévoué. Une fois en place, j’ai rempli mon rôle avec cœur. Il fallait que l’on sorte enfin de l’ornière. J’ai dit : “Ce qu’il faut, ce sont du travail, de la volonté, de la rigueur, du sérieux”. D’ailleurs, on m’a rapidement appelé “le Saint Just du football” parce que j’entendais que cessent toutes les magouilles et que l’argent ne soit plus dépensé inconsidérément mais, au contraire, géré avec la plus grande attention. Pour ce qui est de ces questions financières, je me montrais particulièrement intransigeant et je n’étais assurément pas un interlocuteur facile. Croyez-moi je ne me laissais pas mettre le revolver sur la poitrine par un joueur. S’il n’acceptait pas mes conditions, tant pis ! J’étais déjà conscient qu’un club se dirige comme une entreprise et dans mon esprit le poste de président impliquait davantage de servitudes et de dévouement que d’honneurs. Pour moi, il ne s’agissait pas de passer uniquement pour signer le courrier. Je voulais m’occuper de tout.” (1)
C’est vrai que la situation du club n’est guère reluisante alors. L’équipe semble enlisée dans la Deuxième Division, plombée dans ses ambitions sportives par une dette qui appelle à l’austérité. Néophyte et peu préparé à prendre la charge d’un club de football professionnel, Jean Clerfeuille va donc d’abord s’appuyer sur les compétences en place, notamment celle de M.Crinière et de Albert Heil pour faire fonctionner le club. Il est secondé par Louis Fonteneau à la Vice-Présidence.
“Bien sûr j’allais voir les matchs de football mais je ne connaissais rien à la gestion d’un club pas plus à la direction de joueurs professionnels. Heureusement Albert Heil , joueur reconverti, m’a bien aidé”. (2)
Le novice a toutefois l’intention de rapidement marquer son territoire et ne pas se laisser dicter sa conduite par les joueurs ou les entraineurs.
« Je suis tout le contraire d’un entêté, mais quand je crois que mes choix sont bons, je m’y tiens. Président, c’est un métier que l’on apprend sur le tas, avec le temps ! »
Albert Heil, le secrétaire dévoué du club confirme : “Il ne fallait pas lui marcher sur les pieds. Quand il avait pris une décision, il s’y maintenait, pas le genre à se laisser influencer !”
Durant l’intersaison 1959, Jean Clerfeuille déclare : “Il faut démolir ce qui ne va pas afin de tout rebâtir sur des bases saines.” (1)
L’entraineur Louis Dupal qui vient d’achever sa troisième saison chez les canaris est donc remercié et remplacé par Karel Michlowski.
De gauche à droite lors d’un déplacement à Paris : Michlowski, Clerfeuille, Chalmandrier.
Le 16 septembre, l’Assemblée Générale confirme et officialise Jean Clerfeuille au poste de président, le même jour Marcel Saupin (qui s’est retiré de la vie du club depuis quelques saisons) est également nommé président d’honneur.
On va alors croire que Jean Clerfeuille va réussir à réaliser en un an ce que ses prédécesseurs n’ont pas réussi à faire lors des 15 années qui viennent de s’écouler : obtenir l’accession en 1ère division, . Finalement après une excellente première partie de saison, l’équipe flanche et laisse filer l’occasion. Le tandem Clerfeuille/Michlowski semble alors former le ticket gagnant du FCN des prochaines années, c’est sans compter sur l’intransigeance du président Clerfeuille. Il refuse de céder devant l’ultimatum de son entraineur qui réclame des renforts de grands noms pour la saison suivante et provoque son départ. Clerfeuille doit donc à nouveau consacrer l’été 1960 au recrutement du remplaçant de Michlowski. Ce nouvel entraineur il entend bien le choisir lui même.
C’est finalement un basque inconnu de 39 ans qui remporte son suffrage : José Arribas. Parmi les nombreuses lettres de candidature qui sont arrivées sur le bureau du président nantais, celle d’Arribas, par sa tournure et son contenu se démarque et attire sa curiosité. Le discours est axé sur le plaisir de jouer, et ça, ça plait à Clerfeuille qui décide de la rencontrer après qu’ Albert Heil et Henri Guérin (alors entraineur du Stade Rennais et ami de Clerfeuille) aient confirmé les compétences du bonhomme.
L’entrevue se déroule le 14 juillet 1960, au siège du club, rue Bertrand-Geslin et tout de suite Clerfeuille est conquis :
“Je l’ai engagé en dix minutes, pas une de plus, se rappelle Clerfeuille. Le football l’intéressait beaucoup plus que l’argent et il était davantage préoccupé par les conditions de travail que nous lui proposions que par les questions ayant trait à son salaire”.(1)Plus tard Jean Clerfeuille déclarera : “José Arribas quand il est arrivé il ne connaissait rien du tout (sic). Il s’est formé lui aussi. La méthode Arribas elle n’est pas venue d’un seul coup, ça a évolué, ça a évolué, ça a évolué…Et puis en quelques années il est vraiment devenu un grand entraineur. Mais quand il est arrivé c’était un débutant. ” (3)
Les débuts d’Arribas à Nantes ne se feront pas toutefois dans la facilité et au terme d’une raclée historique reçue du côté de Boulogne (10-2), on pense que ses jours sont comptés à la tête de l’équipe. Pourtant, contre l’avis de certains membres du Comité Directeur et celui du directeur sportif, Antoine Raab qui ne partage pas du tout les mêmes conceptions du football, Jean Clerfeuille maintient son entière confiance en José Arribas. Antoine Raab n’aura alors bientôt plus qu’à partir de lui même.
« C’était un administratif, un bon gestionnaire, qui ne s’immisçait jamais dans la partie technique », dixit Albert Heil. « En fait, ce n’est pas une méthode, mais un style qui s’est imposé à travers le travail. »
En revanche, il allait toujours à la rencontre des joueurs qu’il souhaitait voir intégrer le club : Blanchet, Gondet, c’est lui.
« Avec Henriette nous avons sillonné la France pour voir jouer de jeunes footballeurs. C’est comme cela qu’un soir nous sommes allés à Blois voir Philippe Gondet chez ses parents. J’ai ainsi monté l’équipe… ».
Au terme de la première saison de l’ère Arribas, l’équipe se classe 11ème. Un classement bien moyen et en recul par rapport à la saison précédente. Quelques motifs de satisfaction apparaissent toutefois. Le jeu de l’équipe, principalement, s’est grandement amélioré pour le plus grand plaisir des supporters qui apprécient le style offensif prôné par le technicien basque. On semble être sur la bonne voie et en renforçant le secteur défensif pour la saison suivante, c’est en effet là, principalement, que l’équipe a failli la saison précédente, on se dit que le FCN a une belle carte à jouer en 1962. Autre motif de contentement, le retour des spectateurs à Malakoff et la gestion rigoureuse de la nouvelle équipe dirigeante emmenée par Clerfeuille a permis de redresser la situation financière du club. Jean Clerfeuille décide donc d’investir. On engage Georges Bout et surtout “Pancho” Gonzales. André Strappe lui apporte sa classe dans la ligne d’attaque, bientôt complétée par les arrivées des racingmen Guillot et Grillet. Pour contrôler l’inflation de sa masse salariale, le club doit aussi céder quelques joueurs comme René Dereuddre.
« Le foot, ce n’est bien qu’en première division, la 2e ce n’est qu’un moyen terme, il faut la subir… », dira plus tard Jean Clerfeuille dont l’objectif premier rejoint l’obsession de ceux qui l’ont précédé : la 1ère Division nationale.
Quand la saison 61/62 s’ouvre, le FC Nantes fait clairement partie des outsiders pour obtenir un des quatre fauteuils d’accession. Pourtant, malgré ces renforts de premier choix, l’équipe peine à se lancer en championnat et certains joueurs, tel Jean Guillot, déçoivent. Son salaire conséquent est alors reproché au président Clerfeuille qui l’a engagé.
“Gardons confiance” (1) repète-t-il alors à qui veut l’entendre.
Un optimisme dont l’entraineur José Arribas se fait l’écho : “Notre football construit finira par payer.” (1)
Jean Clerfeuille est aussi à l’origine de la venue à Nantes d’une vraie star du football français : Thadée Cisowski. L’ancien avant-centre de l’équipe de France se trouve alors coincé dans une situation inextricable à Valenciennes où il passe son temps à cirer le banc de touche contre un salaire de misère. Jean Clerfeuille va parvenir à convaincre son homologue nordiste de lui céder Thadée Cisowski, qui dès qu’il sera opérationnel, à partir de novembre, va apporter son punch dans l’attaque des canaris dont les résultats s’améliorent alors. Hélas le retard pris en début de saison ne sera jamais complètement comblé et en échouant à la 6ème place, l’équipe est à nouveau passé à côté de son objectif principal : la montée !
Or le même scénario semble à nouveau se répéter lors de la saison suivante (62-63). Les canaris tardent à prendre leur envol en championnat et enchainent 3 défaites consécutives en septembre dont une sévère raclée à domicile (0-4) face aux Verts de St Etienne. La 14ème place qu’occupe alors l’équipe provoque une vague de mécontentement au sein du comité de direction du club qui remet à nouveau en cause les compétences de l’entraineur Arribas. La grogne s’installe également dans les rangs des supporters qui s’impatientent. Sentant leur entraineur menacé, les joueurs se mobilisent pour sa défense et c’est une délégation emmenée par les principaux leaders du groupe, Gonzales, Strappe et Guillot qui vient en pleine réunion de bureau obtenir le sursis pour José Arribas.
Cette intervention marque le tournant de la saison. Les joueurs se sentent-ils alors davantage responsabilisés et impliqués ? Toujours est-il qu’avec le renfort de Rafael Santos venu suppléer Fifi Gondet (il souffre d’une méforme chronique due à une maladie contractée durant son séjour en Algérie), les nantais deviennent irrésistibles et remontent à la 2ème place dès le mois de novembre.
“Je marquerai 15 buts d’ici la fin du championnat” dit Santos à Clerfeuile quand il signe son contrat au FCN en décembre.
“Pari tenu ! Le champagne est en jeu.” Répond dans la foulée le président. (1)
Il en mettra 19 lors des 17 rencontres qu’il jouera cette année là et Jean Clerfeuille s’acquittera bien volontiers de son pari car cette fois, c’est fait, le vieux rêve de Marcel Saupin qui s’est éteint quelques mois plus tôt (en janvier 1963) se réalise : le FC Nantes est en 1ère division !
L’accession est obtenue définitivement le 1er juin 1963 dans un stade Malakoff archibondé où 17000 supporters se sont entassés. La victoire contre Sochaux est, depuis, entrée dans la Légende, elle provoquera une liesse populaire dans toute la ville et sera fêtée par un feu d’artifice tiré pour la première fois en l’honneur des footballeurs nantais. Un évènement qui restera le meilleur souvenir de Jean Clerfeuille avec le FCN :
“Pour Nantes, ça a été quelques chose de merveilleux, qui me dépassait. Le succès que ça a eu ! Depuis toujours la montée à Nantes c’est un souvenir impérissable. Mais pas pour moi, moi j’ai trouvé ça tout à fait normal parce que c’était un cheminement depuis mon arrivée dans le club”.
Avec le recul Jean Clerfeuille considère cette accession comme “tout à fait normale”, pourtant lors de la réception organisée au siège du club, le soir même, il est tellement ému, qu’il se montre incapable de faire un discours : “Je suis trop heureux, ça me coupe tous mes effets !” (4)
Pour installer l’équipe parmi l’élite du football national, les dirigeants nantais suivent José Arribas qui désire s’appuyer sur la continuité et un jeu collectif qui s’affirme de plus en plus. Ainsi les départs des “anciens” Gonzales et Strappe sont à peine compensés par la signature de deux jeunes espoirs : Gaby de Michele et Jacky Simon.
L’arrivée de Jacky Simon à Nantes est semble-t-il un pari personnel du président Clerfeuille. Le jeune normand a été proposé au FC Nantes par le président de Cherbourg dont le club est au bord de la faillite. Après un essai réalisé chez les canaris, Jacky croit fermement qu’il va signer son contrat pro quelques jours plus tard, pourtant il se trompe. Quand on lui annonce qu’il est recalé c’est un Simon en pleurs qui vient dans le bureau de Jean Clerfeuille pour le supplier de le prendre. Devant la détresse du garçon Clerfeuille cède et décide lui faire confiance contre l’avis de son Comité Directeur. Il vient de recruter celui qui deviendra le meilleur joueur français deux ans plus tard.
L’apprentissage du FCN à la 1ère division s’avère délicat. Jusqu’en décembre l’équipe flirte dangereusement avec la zone de relégation. Jean Clerfeuille reproche alors à ses joueurs leur manque d’investissement et se fâche dans les vestiaires après une nouvelle défaite à Bordeaux avant Noël :
“S’il le faut , on achètera d’autres joueurs” lance-t-il. (1)
Jacky Simon est aussi pris à partie par Jean Clerfeuille : “Il faudrait peut-être nous montrer pourquoi nous vous avons pris !” (5)
José Arribas prend la défense de ses joueurs et réclame du temps : “Les joueurs manquent seulement d’expérience. Laissons œuvrer le temps. Je ne crois pas qu’avec des noms nous ferions mieux. Les super vedettes risqueraient de tuer notre jeu collectif”.
L’arrivée de Ramon Muller, la montée en puissance de Bernard Blanchet et le retour en forme de Fifi Gondet vont alors permettre au FCN finalement d’assurer son maintien à partir du mois de mai. Le soleil brille à nouveau sur Nantes en cette fin de saison et Jean Clerfeuille peut alors constater que le stade Malakoff est sans doute le seul stade en France où l’on refuse du monde comme lors de la venue du SCO Angers où 30 000 spectateurs veulent entrer. (1)
Surtout les canaris effectuent un superbe parcours en Coupe de France, une compétition où ils n’ont jamais brillé jusqu’ici. En échouant aux portes de la finale face aux Girondins de Bordeaux le FC Nantes n’en a pas moins fait parler de lui pour la première fois de son histoire au plus haut niveau national et cette élimination n’empêche pas les observateurs de louer la qualité du jeu pratiqué par les canaris tout en regrettant celui des vainqueurs bordelais. C’est le début d’une rivalité qui opposera bientôt les deux équipes.
Les dirigeants nantais, Clerfeuille en tête, doivent alors songer à mettre à niveau les infrastructures du club qui est en train de s’installer en 1ère division. Le stade Malakoff, devenu trop petit, est en travaux pour porter sa capacité à 25000 places en agrandissant la tribune populaire et la tribune d’honneur. L’entrainement des joueurs se fait toujours au Parc de Procé, pour la plupart du temps, dans des conditions rudimentaires. Le projet d’un centre d’entrainement est alors évoqué par Jean Clerfeuille sous l’influence de José Arribas. Une telle structure n’existe alors nulle part en France. André Morice, le maire de la ville, suggère à Clerfeuille de prendre le château du Grand Blottereau pour y réaliser son projet. Jean Clerfeuille n’en revient pas : “Mais Monsieur le Maire, ce château est une oeuvre d’art ! Où ferons-nous les vestiaires ? Vous n’y pensez pas.”
Cette idée abandonnée, Jean Clerfeuille ira visiter une belle et grande propriété sur la route d’Ancenis, du côté de Mauves en bordure de Loire mais le terrain était inondable. (2)
Finalement, l’idée fera son chemin et le grand projet de Jean Clerfeuille sera réalisé une dizaine d’années plus tard par son successeur, Louis Fonteneau, avec l’inauguration du Centre de la Jonelière. Clerfeuille et Arribas, les deux instigateurs, auront alors quitté le club.
La belle fin de saison 1964 a ramené le calme dans les esprits nantais et alors que l’équipe s’apprête à disputer son deuxième Championnat de France de 1ère division, les objectifs présidentiels restent mesurés :
“Faites un tout petit peu mieux que l’année dernière et tout ira bien…”(1)
Il est loin de se douter que la patience et la confiance dans le travail de son entraineur vont se trouver récompensées au delà de toutes ses espérances avec un titre de champion de France au printemps 65. José Arribas est plébiscité meilleur entraineur de la saison et Jacky Simon meilleur buteur mais également désigné comme meilleur joueur du championnat de France. Tout irait pour le mieux si Jacky Simon ne s’était mis en tête de quitter le FC Nantes. Deux raisons motivent ses envies de départ : la première concerne une réflexion que lui a faite un de ses équipiers durant les célébrations du titre et qui a profondément blessé l’amour propre de Simon (5). La seconde réside en ce que Simon ne parvient pas à se mettre d’accord avec le FCN sur la révision de son salaire que provoque obligatoirement son changement de statut. Finalement le président Clerfeuille, toujours aussi intransigeant en ce qui concerne les finances, parviendra à garder le jeune prodige sur les bords de Loire (1). L’attachement de Simon en son entraineur y ayant aussi, sans doute, participé grandement.
Si le titre national fut obtenu un peu à la surprise générale en 1965, celui de 1966 est le fruit d’une domination sans partage. Les canaris volent sur le championnat de France et la plupart d’entre eux sont appelés successivement à porter le maillot tricolore.
Définitivement, le jeu pratiqué par les joueurs d’Arribas suscite l’admiration des esthètes. Le FC Nantes s’érige alors en modèle à suivre, la tête de file des quelques clubs qui s’évertuent encore à pratiquer un beau football et qui s’opposent à la majorité des équipes qui cèdent à la pratique du béton et de l’anti-jeu.
François Thébaud écrit dans Miroir du Football : “Le football français d’aujourd’hui, il faut s’en convaincre, n’a qu’un visage : celui que Nantes a maintes fois fait admirer, …, le visage de l’intelligence, de l’imagination, de la maitrise technique, de la correction sans faille, modelé avec amour par Arribas”.
La réussite qui accompagne alors l’équipe n’empêche pas les nantais de rester fair-play quand les évènements leur sont contraires, comme en témoigne la réaction de Jean Clerfeuille au terme de la finale de Coupe de France perdue face aux strasbourgeois : “Une finale de coupe va toujours à celui qui l’a un peu plus voulu. La chance n’a peut-être pas été avec Nantes (blessure de Muller) mais il ne faut pas sous estimer le résultat de nos adversaires qui ont été très valeureux, qui l’ont voulu, qui ont été très ardents et le sort nous a été contraire, et bien acceptons le avec le sourire”. (document INA)
Hélas bientôt le succès commence à faire tourner quelques têtes chez les dirigeants nantais, qui devant le changement de statut du club, se prennent à imaginer remplacer les joueurs du cru par des vedettes internationales. La prophétie d’Arribas se concrétise alors : le jeu collectif des nantais souffre de l’arrivée de ces vedettes dans l’effectif et l’équipe amorce un recul dès 1967 ce qui provoque des critiques acerbes des supporters concernant les mouvements de joueurs réalisés par les dirigeants. Les départs de Muller et Le Chenadec sont mal compris, tandis que le recrutement tapageur de Kovacevic ou Sekeres s’avèrent des échecs retentissants. Dans le vestiaire, l’esprit de camaraderie de 65 et 66, une des grandes forces de l’équipe, a également laissé la place à une ambiance plus professionnelle au regret de quelques joueurs.
Le regard des supporters sur son équipe a aussi changé. De plus en plus exigeants ils considèrent les joueurs comme des nantis vite qualifiés de “trop payés” quand les résultats sont moins bons. Et ils le deviennent.
Les critiques sur la politique des transferts, vivement reprochée à Clerfeuille, se trouvent encore renforcées durant l’été 68 quand Jacky Simon décide de quitter Nantes pour… Bordeaux, l’ennemi intime. C’est l’incompréhension chez les supporters qui assistent aussi à l’éviction de Daniel Eon durant l’intersaison.
Par ailleurs, en ces périodes de révolution post mai 68, l’heure à la révolte dans tous les domaine et au FC Nantes aussi. Les joueurs supportent de plus en plus mal l’autoritarisme de Jean Clerfeuille, rapidement qualifié de dictatorial.
Les joueurs, emmenés par Paul Courtin se sentent alors pousser des ailes et réclament plus de pouvoir au sein du club :
“Que l’on nous laisse la présidence ! Nous assumerons nos responsabilités et nous saurons gérer le club. Après tout le FCN c’est d’abord nous, les joueurs. Bien sûr, c’est aussi une affaire commerciale qu’il faut diriger sérieusement mais cela n’exige tout de même pas des aptitudes exceptionnelles. Elles ne se situent pas en tout cas au dessus de nos facultés.”(1)
Finalement, le 2 décembre 1968, ces reproches et ces critiques répétées aboutissent à sa démission quand il décide de se retirer pour mieux se consacrer à ses activités professionnelles qui lui réclament de plus en plus de temps.
“Puisque vous ne voulez plus de moi, choisissez quelqu’un d’autre !”
C’est Louis Fonteneau qui finalement va assurer la succession. Intérimaire dans un premier temps, il est élu officiellement président du FC Nantes le 25 janvier 1969. Une de ses premières missions dans les mois qui suivront sera de gérer l’arrivée des contrats à temps qui vont révolutionner les conditions des joueurs de football professionnels français. Nul doute que la diplomatie de Fonteneau fut un atout non négligeable dans les discussions qui ne manquèrent pas de se produire alors.Pour l’aider dans sa tache, Louis Fonteneau va pouvoir profiter du joli pactole laissé par Jean Clerfeuille dont l’excellente gestion a rempli les caisses du club (80 millions !!!). Un argent qui l’aidera à poursuivre le développement du club et préparer les succès futurs.
Quant à Jean Clerfeuille, il gardera un pied dans le football en siègeant à la Ligue Nationale jusqu’en 1992. On l’apercevra alors de temps à autre dans le stade de la Beaujoire.
Ici en compagnie de Claude Simonet au stade de la Beaujoire en 1994.
Sa retraite prise sur le tard n’en sera pas moins longue et en 2009 il aura la joie de devenir centenaire en compagnie de son épouse Henriette avec qui il partagera les dernières années de son existence à la maison de retraite de la Chézalière où ses anciens joueurs viendront parfois lui rendre visite comme cette dernière fois en juin 2014.
Robert Budzynski disait alors à son propos : « Il ne nous faisait pas de cadeaux, mais c’était un homme juste et bon. Un vrai président… »
En juin 2014 avec Gilbert Le Chenadec, Gaby De Michele, Bernard Blanchet et Guelzo Zaetta
Jean Clerfeuille est décédé le 27 janvier 2015, un mois tout juste après avoir célébré son 105ème anniversaire.
Son souvenir restera éternellement gravé dans les mémoires des supporters nantais. Son association avec José Arribas aura été le garant de la réussite du Football Club de Nantes dans les années 60, quand tout a commencé vraiment…
Merci pour tout Monsieur le Président.
”Ce n’était pas ma vocation de m’occuper d’un club et j’ y ai été entrainé et à partir du moment où j’ai été attelé il fallait bien tirer la charrette”. “J’ai été cherché des joueurs. On a été voir la famille Gondet avec mon épouse, on a ramené Philippe. On a été chercher des joueurs dans toute la France…” ” Je pense que j’ai mené une vie exemplaire, j’ai fait ce que je voulais faire. La présidence du FC Nantes je ne l’ai pas recherchée, on me l’a imposée. J’ai fait pour le mieux et je me suis pas mal débrouillé pour un débutant dans ce genre d’initiative.”
(1) Bernard Verret - Le Chant des Canaris (1995) - Editions Leader.
(2) Supplément Ouest-France du mardi 20 avril 1993 - Les 50 ans du FC Nantes
(3) Interview Clerfeuille pour les 40 ans du FCN
(4) Gérard Blier - Les Grandes Heures du Football Nantais (2005) - Editions Alan Sutton
(5) Yannick Batard - Football Club de Nantes, Une équipe, une légende (2005) - Editions Cheminements
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